Il y a quelques temps m’a pris une soudaine envie de Royale. Non, pas Ségolène. Une pizza royale. Direction la camionnette de mon pizzaman préféré. Il est bien là mais semble porter toute la misère du Monde sur ses épaules. « Que se passe-t-il ? » que j’lui d’mande. Je dois te raconter quelque chose, me répond-il.
Je vais te raconter la Vérité sur les impôts
– J’ai toujours été très honnête, on m’a toujours dit que j’étais en réalité « trop honnête« » et je viens d’enfin comprendre pourquoi on me répétait ça avec insistance. Ca m’a pris 35 ans mais ça y est, j’ai compris. Mais pour moi, c’est trop tard. Je sens que tu es comme moi, il faut que je te mette en garde.
– Comment ça ?
– Hé bien l’autre soir je prenais un verre avec un copain qui travaille à la Direction générale des Finances publiques. A un moment il me dit : « dis donc toi avec l’emplacement que tu as tu dois palper grave ! ». Et il a vu que je ne comprenais pas ce qu’il me disait.
– Ben oui, tu m’as souvent dit que tu envisageais de tout arrêter vu que tu arrives tout juste à gagner quelques centaines d’euros par mois.
– Voilà. C’est ce que je lui ai répondu. Et on a discuté comme ça pendant plusieurs minutes. Là c’est lui qui ne comprenait pas. Un vrai dialogue de sourds.
– Mais qu’est-ce qu’il ne comprenait pas ?
– C’est simple. Après quelques minutes comme ça, il finit par me dire : « rassure-moi, tu fais 50 / 50, comme tout le monde ? »
– 50 / 50 ? De quoi il parle ? Me dis pas qu’il parle de la mafia ou d’un truc du genre !
– Et non… Sur le coup, je n’ai pas compris non plus. Et ta réaction montre ce que je savais déjà de toi. Tu es trop honnête, tu n’es pas équipé pour comprendre. Donc tu vas te faire baiser toute ta vie, c’est comme ça.
– Non mais allez, explique moi, j’ai pas compris.
Et c’est là que j’ai enfin compris toute la Vérité sur les impôts…
– Attends. Il m’a donc dit : « Ben 50% déclaré, 50% au black ». Et là j’ai rien dit. J’ai eu comme une absence. Alors au bout de quelques secondes il a ajouté « me dis pas que tu déclares tout ? ». Là je me suis repris. J’étais en colère. Pas contre lui mais contre ce système qui récompense les voyous, les fraudeurs. Je lui ai dit que dès le premier jour j’avais toujours déclaré 100% de mon activité. Que je prenais bien garde de ne rien oublier. Et là, à ce moment précis, j’ai lu dans ses yeux que j’étais bien con et que je méritais d’être dans la merde. Il a dit « mais comment tu fais pour t’en sortir ? C’est impossible de t’en sortir si tu déclares tout ! ».
– Attends, c’est un employé de la Direction générale des Finances publiques qui te dit un truc pareil ? Mais c’est hallucinant !
– Oui mais c’est un copain, alors il veut m’aider. Il n’a simplement pas envisagé une seule seconde que dans ce pays il existe ne serait-ce qu’une personne qui déclare l’ensemble de ses revenus. Là il me préviens que pour m’en sortir, je n’ai qu’une solution : fermer boutique et recommencer autre chose et/ou ailleurs. En l’état, je suis condamné.
– « En l’Etat » c’est sûr. C’est écoeurant.
– Tu m’étonnes. Là tout de suite j’ai envie de tout envoyer balader. J’ai pas envie de continuer de faire de la « pizza sociale » pour bientôt finir par fouiller les poubelles pour me nourrir moi et ma femme. Là où je suis vraiment con c’est que comme il m’a dit, dans un secteur comme ça, y a rien de plus simple vu qu’y a beaucoup d’argent liquide qui circule. Il comprenait pas. Il mourrait d’envie de me dire que j’étais un gros con, ça se voyait. Au fond, plus que de la pitié ou de la compassion, je crois qu’il a ressenti un certain mépris à ce moment envers moi, comme si c’était moi qui refusais les règles du jeu.
– Tu vas faire quoi du coup ?
– Je ne sais pas. Mais je peux pas ne plus être honnête, tu sais ça aussi bien que moi, on l’est ou on ne l’est pas et même si ils veulent me pousser à ne plus l’être, je ne saurais pas faire. Mais méfie toi. Ne fais pas les mêmes conneries que moi. Penses-y.
– Oh tu sais, je suis comme toi… Je ne saurais pas faire non plus.
– Alors tu es fichu.
A mon retour, une part de pizza succulente au bout des doigts, j’ai raconté cela à ma douce et tendre.
En fond sonore, la télé expliquait que ce qui nous tue c’est l' »ultra-libéralisme fou » et le manque de « solidarité éco-citoyenne et responsable ».
J’imagine que s’ils le disent partout et tout le temps c’est que la Vérité sur les impôts (comme ailleurs) est là, en effet.
Amandine Bailly dit
Je confirme : c’est exactement comme ça que les impôts sont conçus.