Je me souviens de ce collègue de bureau, lorsque je travaillais encore en agence de communication. Comme la grande majorité de mes collègues, dans ce métier comme à Sciences Po ou dans les écoles de journalisme, il était de gauche. Comme beaucoup, il ne l’était pas qu’à moitié et se réclamait du communisme.
Egalité en bandoulière et solidarité dans la poche, il détenait le secret du bonheur pour l’humanité tout entière.
Inégalité et misère du Monde
Il faudrait d’ailleurs se demander sérieusement, un jour, pourquoi ce sont les créatifs de pub les plus franchement à gauche qui montrent généralement le moins de respect envers le public en général et leur « public cible » en particulier – petit indice en guise de mot de passe façon Patrick Sabatier : « consommateur ».
Bref.
Ce collègue communiste, donc, était quotidiennement indigné. En réalité, on n’employait pas le mot en Hessel à l’époque. On se contentait de dire qu’il était en colère ou révolté, comme on aurait dit d’un artiste qu’il était engagé.
Ce qui le révoltait tout particulièrement ? L’inégalité, bien entendu. Car celle-ci, en entraînant la jalousie et la cupidité, entraînait la violence.
Je me souviens d’un exemple qu’il m’avait donné : le jeune moyen n’avait pas les moyens, c’est ballot, de se payer une PlayStation. Or, il voyait sans cesse des publicités pour la PlayStation à la télé. Du coup, le jeune moyen avait envie de PlayStation. Précisément comme le jeune aisé. Sauf que ce dernier, justement, pouvait se l’offrir. Et se l’offrait. Du coup, le jeune moyen était fortement tenté de chouraver la PlayStation du jeune aisé. Et le faisait.
Parfois.
Mais en aucun cas il ne fallait l’en blâmer : c’était la faute du système.
Comme toujours.
Tous égaux, tous heureux !
Le collègue en question était loin d’être idiot. Il était également loin d’être un enfoiré – c’est encore plus vrai avec quelques années de recul, puisque j’ai eu la malchance de croiser la route d’un paquet de crevures d’extrême-gauche par la suite.
Nous parlions politique très souvent. Il tenait un discours parfaitement rodé, qu’il avait assimilé depuis son adolescence – et sans doute un peu plus.
Tout était cohérent et les failles étaient loin du Grand Canyon de celles de quantité de gôgôches du bureau d’à côté qui avaient appris l’histoire de France en feuilletant Libération.
Cette idée d’une inégalité qui entraînerait le malheur est d’ailleurs très présente, et pas uniquement chez les sympathisants de gauche. Sur un plan matériel, nombreuses sont les personnes qui affirment qu’une société idéale est une société où tout le monde dispose peu ou prou de la même chose. L’immense majorité d’entre elles s’offusque lorsqu’elle entend quelqu’un affirmer sans sourciller que l’inégalité, loin d’être nécessairement un problème, peut être un moteur.
Encore récemment, je discutais avec un ami qui venait de discuter avec un ami (si, si). Ce dernier avait grandi dans un pays en guerre et affirmait qu’il y avait beaucoup moins de personnes qui « allaient mal » dans un tel contexte que dans celui d’un pays plutôt aisé et apaisé. J’ignore s’il avait poussé la réflexion plus loin mais j’imagine qu’il en concluait, comme tout le monde, qu’aller mal est « un problème de riche ».
A mon humble avis, il fait fausse route. Il est logique que lorsqu’une population affronte « ensemble » un problème majeur l’individu s’en trouve moins affecté. Mais un individu dont le long fleuve tranquille devient soudain torrent n’est pas voué à devenir malheureux ou à haïr son voisin qui, lui, continue de barboter. Il ne le devient qu’à partir du moment où :
- il ne peut pas remonter le torrent – ou a minima quitter le cours d’eau,
- son voisin détourne les yeux, s’en fout complètement ou s’en réjouit et le regarde se noyer en sifflotant.
Toujours moins d’individu, toujours plus d’Etat
Or, le nouveau voisin qui s’en fout, c’est celui qui a les mains gercées à force de se les frotter. Celui qui estime qu’il ne peut rien faire, ou même qu’il ne doit rien faire, car c’est à « la société » de s’occuper de ses enfants abîmés. Que ce soit par le biais d’un organisme, d’une association subventionnée ou par celui de la justice.
« Si un problème existe, il faut se battre pour qu’il soit reconnu. Et que les impôts servent à aider ceux qui souffrent. »
« Si tu as un souci, adresse toi aux autorités compétentes, elles sont là pour ça. »
Que ceux qui n’ont pas la chance d’être « reconnus » crèvent en silence.
Et par pitié, pas d’éclat de sang sur mon nouveau t-shirt « La Fraise » !
Ce qui tue, au fond, c’est l’indifférence institutionnalisée, une « laissez-faire je m-en-foutiste » (oh ironie, de la part de tous ces gens qui conchient la « main invisible » sans n’avoir jamais lu un seul texte sur le sujet), un « je suis fier de payer des impôts ».
A force de répéter au bon peuple que l’individualisme et l’ultra-libéralisme sont la cause de tous les maux, on a tué le civisme et le sens de la responsabilité. Le résultat ? Tout pour le Téléthon, les associations reconnues d’utilité publique et les déductions fiscales. Plus rien pour le frère, l’ami ou le voisin, celui qui est devenu « un petit branleur d’assisté qui vit au crochet de la société » (citation 100% pur porc d’un patron sympathisant Front de Gauche) pour n’avoir eu ni la « chance » de souffrir de problèmes reconnus ni la force de les faire reconnaître (tu as une maladie orpheline ? pas de bol, t’es pas le seul).
J’ai moi-même été gravement malade (acouphènes and co, d’où la création du site Oreille malade). Combien de fois ai-je entendu que si j’allais mal c’était à l’Etat de s’en préoccuper ? « Un peu de compréhension aujourd’hui s’il-te-plaît, je souffre le martyr » se prenait en retour un « on a tous nos problèmes, on ne peut pas s’adapter à chacun, c’est à l’Etat de gérer ça ». Toujours en filigrane l’idée, tout aussi fausse qu’éculée, qu’un groupe ne peut fonctionner que si un maximum de règles a été édictée et que tout électron un peu libre est une nuisance, un danger et que, partant, il doit être éliminé.
Et jamais bien loin le fameux « je suis fier de payer des impôts », qui procède de la même logique étatiste.
Plutôt que d’être tous égaux dans la misère et d’espérer que le bonheur coule à nouveau à flot comme par magie, j’imagine qu’il faudrait que chacun se souvienne que la solidarité est une affaire individuelle. Tout comme le courage et les bons sentiments.
Il n’y a rien de plus facile que de donner une pièce au « clodo du coin » ou d’appeler le Samu social pour qu’il apporte soupe chaude et chaleur humaine. Il n’y a rien de plus simple que de hurler sa haine de la guerre, de l’argent, de la discrimination ou du mauvais temps. Mais aider son prochain, celui qu’on croise tous les jours et qui n’a pas la chance d’être un dominé, c’est autre chose.
Comme il m’a été dit à plusieurs reprises, je suis blond aux yeux bleus et j’ai fait une grande école : il y a donc quoiqu’il puisse m’arriver – et, de fait, il m’est arrivé quelque chose d’extrêmement grave -, des gens qui ont bien plus besoin d’aide, de soutien ou de compassion que moi. « Ne compte pas sur moi pour te plaindre ! » : je l’ai entendu mot pour mot dans la bouche de plusieurs personnes qui ne pouvaient s’être concertées.
Le pire était alors d’avoir l’outrecuidance de protester car cela entraînait immanquablement des représailles aussi brutales qu’immédiates.
Passe ton chemin, camarade !
L’Etat devrait simplement nous garantir la liberté d’aider notre prochain. Si nous le souhaitons. Car ce n’est pas l’inégalité qui crée le malheur : c’est le manque de perspective, de contrôle sur sa vie et, peut-être plus encore, l’exclusion.
Or, celle-ci n’en est devenue que plus violente à mesure que les groupes ont pris le pas sur l’individu. L’heure est en effet à la désindividualisation (ou désindividuation), mais ce phénomène n’est certainement pas uniquement dû à Facebook ou internet. Il est la conséquence directe d’une infantilisation de la population par des politiques et des médias de plus en plus étatistes : l’Etat « Big Mama » grossit, grossit, et avec lui le troupeau des laveurs de main.
Beaucoup de braves gens, certainement.
Qui n’aiment simplement pas que l’on suive une autre route qu’eux.
(crédit photo Ce n’est pas dans l’inégalité qu’on fait le meilleur malheur : Julia Manzerova)
gab dit
Je partage entièrement ta vision,effectivement ce n’est pas l’inégalité qui crée le malheur,mais bien l’exclusion.
Laxisme dit
l’inégalité et le malheur ont toujours existé dans nos sociétés on en convient tous. Dire qu’elle est la source de ce dernier revient a incriminer tous le système. si on pense un tout petit peu aux conséquences de l’exclusion on peut effectivement dire qu’elle est une des causes du malheur. mais l’exclusion n’est-elle pas une forme d’inégalité si on pousse la réflexion.?
Laurent Matignon dit
Je ne pense pas. Prenons l’exemple simple d’une famille. Il ne semble pas que l’égalité entre ses membres soit sa caractéristique première, pourtant elle n’exclut pas nécessairement un de ses membres.
Ou alors, appelons un chat un chat : il ne s’agit pas d’égalité, mais de soumission à un modèle donné. Si un membre s’écarte de la norme, il est puni.
La mafia fonctionne de la même façon, mais elle n’est pas la seule, loin de là, beaucoup d’autres groupes également (entreprises, syndicats, associations humanitaires, les exemples ne manquent pas). Pourquoi pas, mais que l’on dise clairement qu’il s’agit ni plus ni moins de quelque chose qui s’oppose à la liberté individuelle. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant que l’égalité soit une obsession beaucoup plus marquée à gauche, qui est traditionnellement une ennemie des libertés de l’individu au bénéfice des groupes et communautés.
Liberté, égalité, fraternité… Si « liberté » a été placé en premier, ce n’est pas un hasard. A un moment, si l’on veut revenir dessus et mettre la liberté de côté, que l’on dise les choses clairement. Un débat sur la question serait un minimum auquel le peuple français devrait avoir droit.